Cueillir les objets, une saison aux Arques

in Design des mondes ruraux Ce que le design fait à la campagne (et réciproquement), Editions Berger-Levrault, janvier 2024.

Ossip Zadkine, né sous le nom de Yossel Aronovitch Tsadkine le 28 janvier 1888 à Vitebsk (Empire russe, aujourd'hui la Biélorussie) et mort le 25 novembre 1967 à Neuilly-sur-Seine, est un peintre et sculpteur français, établi en France en 1910. Il partagea une grande partie de sa vie entre son atelier de Paris, rue d’Assas et son atelier installé dans le village des Arques, dans le département du Lot.

Conjointement avec l’EnsAD de Paris et la HEAR de Strasbourg, nous initions en 2022 avec Emmanuel Tibloux, Grégory Jérôme et David Cascaro le réseau national Campagne Première. Nous organisions en septembre 2022 deux premières journées d’études au coeur du village de Meisenthal (Vosges du Nord) invitant à échanger au travers de regards critiques sur ce que la ruralité a à apprendre du design et ce que le design peut apporter à la ruralité.

Martine Bergues, ethnlogue chargée de mission au Conseil Général du Lot, rencontrée à l’écomusée de Cuzals.

La Bourriane est une région naturelle, située principalement dans le département du Lot et pour une petite part dans le département de Lot-et-Garonne. Elle est décrite sur Wikipédia comme étant une région sablonneuse et collinaire couverte de forêt avec comme essence principale des châtaigniers.

Gilles Clément, Manifeste du tiers paysage, éditions du commun, 2004.

Photographies, portraits de la forêt Bourriane, en remontant le cours de la Masse à pied, des Arques à sa source.

Vandana Shiva, Monocultures de l’esprit, éditions Wildproject, 2022.

Patrick Whitfield, Earth Care Manual, A Permaculture Handbook For Britain & Other Temperate Climates, Permanent publications, 2004.

« Stick », Cléa Di Fabio, Azimuts, nº 48-49, Le type. Règne, crise & critique., 2018, Ésadse/Cité du Design, p. 78-87.

Tim Ingold, Faire anthropologie, archéologie, art et architecture, éditions dehors, 2019.

Tim Ingold, Faire anthropologie, archéologie, art et architecture, éditions dehors, 2019.

Augustin Berque, Descendre des étoiles, monter de la Terre – La Trajection de l’architecture, éditions éoliennes, 2019.

La route étroite qui sinue jusqu’au bourg ne mène guère plus loin. Il faut pour se rendre aux Arques une raison précise : y habiter, visiter le musée Ossip Zadkine ou avoir la chance de participer au programme de résidence d’artistes, initié il y a trente-cinq années dans ce village que le sculpteur eut choisi pour y établir son atelier.

Il y a quelque affinité entre Les Arques et d’autres lieux-bouts du monde, de ceux qui – suffisamment inaccessibles – semblent être restés, pour l’instant, hors de portée de ou délaissés par la modernisation. Ici la pierre est claire et savamment maçonnée, l’ancien presbytère sied au sommet d’un promontoire autour duquel les ruelles ont, d’expérience, été pensées à échelle d’humains et de charrettes, plutôt que de voitures et de livraisons FedEx. L’ordonnancement des choses parle là au corps et à l’esprit, tant semblent s’être architecturés au fil du temps une attention et un égard à un certain génie du lieu.

Mais alors que vient faire le designer dans ce paysage ? Ou plutôt, qu’à-t-il à y apprendre et à désapprendre ? Car si l’émergence de la discipline est communément associée à la société industrielle, son histoire s’est essentiellement développée via le paradigme urbain, puisant sans conscience les ressources de terres rurales quand ce n’est pas de terres plus exotiques qu’il s’est agi. Or si la vocation de l’industrie consistait initialement à rendre démocratique un confort décent pour tous, les modes de production et de consommation qu’elle induit s’avèrent aujourd’hui être à l’origine de problématiques sociales et écologiques qui remettent en question les moyens employés à une telle fin. La discipline du design a ainsi paradoxalement accompagné le développement de la société moderne, dans une dynamique d’irrigation de la pensée urbaine vers les campagnes, tout en y prélevant ce qui constitue son essence : des morceaux d’écosystèmes, de terrains, de paysages.
Nous avancions en septembre 2022, à l’issue des rencontres Campagne Première tenues à Meisenthal (Moselle), qu’il était grand temps de désurbaniser la pensée. Face au bouleversement écologique, il s’agit effectivement moins de projeter sur le terrain des intentions et des formes générées par un esprit domestiqué, que de reconnaître les savoirs et pratiques développés in situ sur le temps long. Dans les campagnes subsistent ici et là des savoir-vivre avec le vivant, des savoirs composés avec les écosystèmes desquels nous dépendons. Il s’agit de considérer ces connaissances comme relevant d’un bon sens, de celui qui se soucie de ce qui est à propos pour ici et sur la durée, et d’y tenir une position d’apprenant plutôt que d’ordonnateur.

C’est précisément là qu’il me semble nécessaire de repenser les enjeux fondamentaux du design et de revoir ses priorités, à savoir garantir des milieux et espaces de vie habitables pour le plus grand nombre. Dans le cas du projet de résidence, il ne s’agit plus uniquement de faire des lieux et des objets, mais de faire depuis les lieux et de considérer que les choses émergent du terrain. En tant que concepteur de formes et de sens, le designer se positionne ici non plus comme le seul auteur, mais agit en tant que révélateur du déjà là. De la même façon que l’architecture vernaculaire élève les matières du sol dans le bâti, la pratique située que je mène depuis plusieurs années tend à révéler la nature du terrain et la rencontre avec les savoirs de celles et ceux qui le transforment, à l’échelle de l’objet, du mobilier jusqu’à celle du paysage. Habitant pour un temps le terrain du projet, apparaît telle une évidence sinon une nécessité de penser les objets en embrassant la part la plus étendue de ce qui conditionne leur émergence : il s’agit de suivre l’origine des ressources, de comprendre leur mode d’extraction et de transformation, d’intégrer les moyens techniques et humains en jeu et les savoir-faire industriels, artisanaux ou populaires en tant que paramètres directeurs.

Que nous apprend l’expérience de la résidence ? Que le « décor » que nous habitons et que nous traversons est en réalité une construction impliquant nature et culture, tissée en continuité avec le milieu sous l’impulsion des besoins humains les plus élémentaires : s’abriter des dangers du monde, s’alimenter, ou ici se mouvoir dans le relief particulier de la Bourriane . Le parcours par les chemins de ce petit bassin versant nous renseigne sur la façon dont ont été habitées, exploitées ou délaissées les parcelles hétérogènes du massif forestier. Effectivement, nul besoin d’être expert pour relever le caractère disparate de ces forêts qui réunissent de nombreuses caractéristiques d’un Tiers Paysage tel que défini par Gilles Clément : ici un taillis de châtaigner laissé en friche, là un peuplement de chênes mélangé à du pin maritime , alors qu’un peu plus loin une jeune plantation de peupliers nous rappelle à la modernité et à ses monocultures.

C’est précisément la singularité de cette forêt morcelée qui constitue l’entrée du projet de recherche démarré aux Arques en avril 2023. Avec pour différence majeure - vis-à-vis de forêts comme celles des Vosges du Nord ou des monocultures du Morvan - d’être non préparée à une exploitation industrielle optimisée (ou destructrice), la forêt de la Bourriane échappe à première vue à une standardisation du massif. Il devient ainsi difficile d’y imposer un mode de gestion forestière industriel, ce qui constitue une aubaine pour la biodiversité.
La question qui se pose alors à un designer à cet endroit est double : quelles bonnes raisons légitimeraient de transformer du bois qui serait autrement réduit en matière organique pour le sol, au bénéfice de l’écosystème alentour, et comment déroger à l’habitude de faire du projet à partir d’une matière normée ?

Premièrement, la ressource ligneuse considérée non conforme à un usage en bois d’œuvre empruntera d’autres filières, soit vers la production de pâte à papier, soit vers une transformation en bois énergie, toutes deux constituant une valorisation pauvre de la matière car très consommatrice d’eau dans le premier cas et relâchant dans l’air tout le CO2 stocké dans le second.
Le sujet consiste donc ici à tenter d’ouvrir d’autres voies pour le bois abattu en Bourriane. À la rencontre de Yann Clément, forestier au Centre Régional pour la Propriété Forestière et d’Anthony Cheval, coordinateur de projet pour l’association Cœur de Forêt, j’apprends la difficulté qu’ont ces défenseurs de la durabilité forestière à faire face aux intérêts économiques de l’exploitation sylvicole industrielle. Ils me font également part d’un projet mené localement sur la constitution d’une épicerie du bois, laquelle se ferait l’intermédiaire entre les petits propriétaires de forêts et les consommateurs de bois, proposant transformation et vente au détail, pour particuliers comme professionnels et ceci dans une logique d’échelle réduite vis-à-vis des petites parcelles de la région. Effectivement, pour espérer requalifier la ressource il s’avère nécessaire d’y adapter les outils et méthodes de production et non l’inverse. Ce sont les modes d’exploitation industriels qui ne sont pas adaptés aux spécificités du territoire, et non son contraire. Une première réponse réside donc peu-être dans une intervention à petite échelle, à la mesure des lieux.

Faire avec le déjà là, une permaculture du projet.
Dans son ouvrage Earth Care Manual , Patrick Whitfield exprime que « l’essence de la permaculture est de travailler avec ce qui existe déjà : d'abord pour préserver ce qu'il y a de mieux, ensuite pour améliorer ce qui existe, et enfin pour introduire de nouvelles choses. Il s'agit d'une approche à faible consommation d'énergie, qui consiste à effectuer un minimum de changements pour un maximum d'effets, en travaillant en coopération avec les forces naturelles et les communautés humaines. Les solutions seront différentes non seulement d'une région à l'autre, mais aussi d'une localité à l'autre et même d'un ménage à l'autre." Suivant les préceptes de Whitfield, je m’adonne aux Arques à faire avec ce qui est en présence. Mon environnement direct étant bordé de forêts, j’y déambule d’abord pour savoir où je me trouve puis rapidement pour y prélever des branches tombées au sol ou laissées à terre après une coupe. A l’image de Zadkine qui percevait dans certaines grumes des ébauches de figures que son maillet et son ciseau allaient ensuite révéler, certaines des branches rencontrées appellent un début de fonction, esquissent une partie d’objet, suggèrent une prise en main.

Designer cueilleur, la leçon du bâton.
La designer Cléa Di Fabio consacre dans le numéro 48/49 de la revue Azimuts un article sur le bâton, explicitant que « de l’action de celui qui ramasse ou brise la branche de l’arbre, est né le bâton. Ce morceau de bois ou d’os, cylindrique et allongé, n’est bâton que lorsque la main l’active, et cesse de l’être en même temps qu’il évolue. Étrange objet que ce bâton, état intermédiaire entre la branche et l’objet spécialisé. […] La première curiosité soulevée par son étude, est l’absence de fonction déterminée du bâton. La polyvalence des emplois dont il s’enrichit à force d’être manié le rend insaisissable et il échappe à toute classification par l’usage tant il offre de possibilités. Désinvolte, il est pourtant dépendant de sa mise en action sans laquelle il reste branche inerte, objet mort. » En tant que matière en attente des usages que l’on y projette, le bâton semble nous donner une leçon à nous, concepteurs, tant il se positionne à revers du design moderne guidé par l’idée portée par Louis Sullivan que « la forme suit la fonction ». En effet, le bâton nous dit que la fonction, ou plutôt qu’un ensemble de fonctions potentielles sont inscrites dans la matière brute, en attente d’être délivrées. Ici la forme pré-existe à la fonction : la fonction suit la forme.

Effectivement, alors que je glane ces bouts de bois, la majeure partie du travail structurel est déjà effectuée par la croissance de l’arbre. Celle-ci a produit juste ce qu’il fallait de matière pour assurer la verticalité du tronc et la structure de chacune des branches, optimisée tel un savant calcul d’ingénieur. Mon intervention consiste alors simplement à trouver les moyens d’inscrire ces formes et fonctions dans l’espace domestique, à instaurer des surfaces de rencontres entre nature et artifice, à opérer sur la branche organique des coupes franches pour la faire rencontrer l’enveloppe orthonormée que nous a léguée l’architecture moderne. C’est donc davantage le temps de regard en forêt et le moment de sélection au sol qui guide l’allure des objets qu’un geste de transformation. Celui-ci n’intervient que pour recadrer, circonscrire les formes, sections, proportions et directions, et les appliquer à différentes typologies d’objets et de compagnons domestiques.
Mon action consiste ici moins à concevoir par le projet, qu’à prolonger un travail amorcé par la vie de l’arbre, de « penser le faire comme un processus de croissance ». L’anthropologue Tim Ingold décrit effectivement de façon assez juste cette démarche qui « place dès le départ celui qui fait comme quelqu’un qui agit dans un monde de matières actives. Ces matières sont ce avec quoi il doit travailler et le processus de fabrication consiste à « unir ses forces » aux leurs […] le mieux qu’il puisse faire est de s’insérer dans les processus déjà en cours, lesquels engendrent les formes du vivant qui nous environne (les plantes et les animaux, les vagues, de l’eau, la neige et le sable, les rochers et les nuages). » Ainsi, « Penser le faire d’un point de vue longitudinal, comme la confluence de forces et de matières, et non plus latéralement, comme la transposition d’une image sur un objet, c’est concevoir la génération de la forme, ou la morphogenèse, comme un processus. Cela permet d’atténuer la distinction qui peut être faite entre organisme et artefact. Car si les organismes croissent, c’est aussi le cas des artefacts. Et si les artefacts sont fabriqués, c’est aussi le cas des organismes. »
Les artefacts ici produits ou délivrés, se révèlent d’autant plus de par le contraste de « mondes » induit par la rencontre du le mur de placoplatre et de l‘écorce du châtaigner, du charme ou du noisetier. Le geste se rapproche de celui de la photographie : on extrait un point de vue sur l’existant en définissant les contours du cadre. Le sujet décontextualisé devient objet, il existe du fait d’une rupture avec son milieu d’origine. Comme pour la photographie se joue ici une question de déplacement, de mise en mouvement, de traversée du réel. La question du point de vue pose celle de la position du corps dans l’espace, des rapports d’échelles qui sont tout aussi propres à la conception de mobilier et aux proportions que requiert le corps humain.

Repenser le rapport au projet et au dessin.
Comme décrit un peu plus haut, le projet mené aux Arques interroge la progression habituelle d’un projet de design, dans le sens où le dessin ne précède pas la fabrication : ce sont les rencontres avec les attributs des matériaux qui guident les typologies, dimensions et encombrements des objets. Le dessin répond à la matière et non plus l’inverse. Aussi, conception et production se mêlent en un seul et même acte de déplacement du regard, de transposition d’une matière d’un contexte à un autre, de recomposition, acte qui tient simultanément d’une forme d’attention et de coopération avec le milieu et ce que la matière dessine. Cette pratique fait inconsciemment écho aux façons de procéder des architectes et bâtisseurs du Moyen-Âge, pour lesquels selon Ingold , « il n’existait pas de différence radicale entre dessiner et construire […]. Car c’est précisément au fur et à mesure du travail d’édification, entre les mains compétentes des artisans, que les édifices du Moyen Âge étaient conçus. Des maçons qui les ont construits, on peut bien dire qu’ils les ont conçus en même temps qu’ils dessinaient, et qu’ils les dessinaient dans le même temps qu’ils les concevaient. »

Déjouer la norme, réapprendre à voir.
En déjouant l’habitude d’une conception à partir d’une matière normée, équarrie en tasseaux, planches ou chevrons, émerge un vocabulaire de formes et de qualités de surfaces spécifiques au milieu d’origine du matériau. Mais encore, cette opération qui tient plus de l’attention que d’une transformation lourde, s’émancipe des processus de production conventionnels qui nécessitent des infrastructures importantes, des investissements en machines-outils de transport et de débit considérables. Paradoxalement, il s’agit ici d’employer des outils et des gestes simples pour la production de formes complexes, là où pour produire des formes organiques, l’outil industriel est onéreux et dépense une énergie proportionnelle à la production de chûtes de matière. Dans une économie de moyens, il s’agit de faire ici le plus possible avec le moins possible, d’opérer le minimum de gestes, d’efforts et de temps. La pratique s’adapte au contexte.
Mais si l’une des vocations du design tient à démocratiser une idée ou un projet, comment aborder ici la question de la série, de la reproduction ? La réponse se trouve peut-être de nouveau dans la petite échelle. Car si une grande part du travail consiste à une pratique de l’attention en forêt, d’identification des pièces de bois à convertir en objets, c’est le temps du regard et d’arpentage qu’il s’agit de valoriser, qui s’inscrira dans la valeur ajoutée du produit fini. « On apprend très soigneusement à compter, et plus soigneusement encore (et dans un sens général) à calculer. Mais personne n’apprend à voir (ou à entendre). Si quelqu’un ne sait pas compter juste, on lui prédit mille morts (qui ne tardent pas à l’accaparer). Mais s’il ne voit pas juste (ou n’entend pas juste) on ne lui prédit rien, alors que des malheurs bien plus grands sont immédiatement son lot » nous dit Jean Giono dans un court texte paru en 1962, Apprendre à voir. La démarche du projet est ici à elle-même une école du regard. Elle en fait même une étape de création primordiale.
Rémunérer le temps et la qualité d’attention d’une personne plutôt que l’amortissement d’une machine ? La même question se pose dans l’agriculture, entre le modèle conventionnel et des alternatives telles que la permaculture. Pour produire plus, le processus requiert plus d’arpenteurs, plus d’yeux et de mains. Les échelles de production seraient ainsi très localisées et surtout multipliées sur les lieux où du bois serait sujet à être mis au sol à un moment ou à un autre.
Cette démarche interroge l’organisation d’une filière dans son entièreté : quelles relations entre l’arbre et l’objet, entre le forestier, le scieur, l’arpenteur, l’artisan et l’industriel, entre l’habitant et son environnement ? Penser à échelle de filière implique pour le designer de déborder du champ d’action que l’histoire de sa discipline a bien voulu lui assigner et de composer avec les réalités humaines, géographiques, matérielles, économiques et politiques pour espérer déployer une forme d’écologie du projet.

Resituer l’origine du design, pour d’autres rapports de la pratique aux mondes.
La modernité de laquelle nous héritons n’a cessée de nous mettre à distance de la vie ; celle intemporelle qui transcende toute époque, régie par les cycles célestes, les saisons, la gravité, la lumière, le mouvement. Aux lieux où se joue la rugosité du monde, semblent se manifester davantage qu’ailleurs les défis posés à une société où se tissent plus que ne s’isolent urbanité et ruralité : là où s’éprouvent les tempêtes, auprès des arbres dans lesquels bruit le vent qui tourne. Alors que la pensée savante et urbaine n’a cessé de s’immiscer - non sans impérialisme - dans les territoires, il est urgent d’envisager l’atelier du futur au plus près de la Terre, de reconnaître le besoin que nous avons à réapprendre à vivre en continuité avec les écosystèmes, de retrouver les savoirs que la modernité à discrédité. Il s’agit ainsi d’opérer un véritable retournement du sens de diffusion de la connaissance, de retourner la modernité vers elle-même en y associant les savoirs qu’elle n’a su ni reconnaître ni entretenir, qu’elle n’a pas su intégrer ni transmettre.

En ce qui concerne la discipline du design, il devient urgent d’interroger ses origines et de replacer son antériorité ; de la détacher de la révolution industrielle pour la rapprocher de la figure du primate introduite par Stanley Kubrick dans son film 2001 l’odyssée de l’espace, de l’être qui, depuis un lieu du monde coordonne dans un même élan penser et faire. Non nécessairement au service de l’industrie, la pratique se doit de servir le temps long du territoire et de ses habitants, de se porter garante d’une continuité écologique et d’une relation d’interdépendance des femmes et hommes aux lieux. Quelle distinction alors entre un designer, un berger, un paysan ? Il s’agit peut-être d’intégrer que de telles frontières puissent se brouiller, tant les missions des uns et des autres se tissent dans un même rapport au territoire, aux saisons, aux besoins élémentaires d’une vie sur Terre. Aussi d’accepter une figure modeste du designer-être et sa mise à jour vis-à-vis du designer descendu des étoiles, pour reprendre la définition faite par Augustin Berque des « starchitects ». Une telle entreprise des pratiques du soin et de l’entretien doit s’adjoindre de gestes qui favorisent de fait culture et éclosion des diversités.